L’enjeu de ce projet artistique et culturel de territoire à Carros, en partenariat étroit avec les bailleurs sociaux Poste Habitat (Toit et Joie) et Côte d’Azur Habitat est de relier deux quartiers de la ville : Carros Centre et Carros les Plans. L’enjeu est joyeux car quand on regarde la topographie et l’histoire de la ville, ces deux quartiers peuvent sembler fort éloignés l’un de l’autre. Ils sont pourtant comme une fratrie dans un lit superposé avec une forêt à flanc de colline entre les deux.

    Deux types de quartier, deux époques d’architecture, deux visions de l’habitat partagé mais à l’intérieur des immeubles et des résidences : des familles, des femmes, des hommes, des enfants, des adolescents que nous inviterons à la rencontre par notre présence artistique. Articulée autour de 6 temps de présence artistique dans la ville et ses différents quartiers nous questionnerons la notion de « Transmission » : tout ce dont on hérite qui n’est pas lié à de l’argent. La transmission culturelle, pratique, technique, sonore, gustative, sensible. Comme nous sommes artistes, nous déconstruirons la notion de transmission elle-même en la considérant comme une passation, comme un richesse, qu’elle parte de plus âgé.es vers les plus jeunes ou des plus petit.es vers les plus ancien.nes.

     

    Avant la suite …. Comment tout ça à commencé :

     

    Chère équipe du Forum Jacques Prévert de Carros,

     

    Je pensais inventer une histoire pour démarrer le projet artistique de territoire que vous nous proposez d’animer mais en me renseignant sur Carros et son histoire, un détail a retenu mon attention. Saviez-vous que le nom Carros est issu du grec ancien Crocus (κρόκος) ?

    Vous n’êtes pas sans savoir que vers 600 avant J.-C. les Grecs font escale à Nice, mais saviez-vous qu’ils établissent à cette occasion un campement dans l’arrière-pays (on ne disait pas encore comme ça à l’époque). Là ils découvrent une plante endémique des collines carrossoises, le Crocus Sativus (Les premiers ont dit « Oh ! Un crocus, ça t’y vusse ! » – traduction approximative). Cette jolie petite fleur mauve colorait poétiquement les collines rocheuses. Par un hasard tout à fait fortuit, ils déshydratèrent les pistils sans le faire exprès le soir même autour de leur feu de camp. Juste avant de reprendre la mer, les marins furent bien embêtés, car il n’y avait aucune échoppe pour les traditionnels cadeaux-souvenirs à leurs familles. Trouvant ces petits fils orangés très délicats ils en font de petits tas qu’ils offrent à leurs épouses de retour dans leurs villages grecs.

    Celles-ci sont un peu déçues et ne savent que faire de ces petits filaments couleur de feu. Elles décident de les jeter dans le repas de leurs maris en guise de vengeance et là, découverte ! C’est coloré, charmant, absolument délicieux et personne n’est malade après le repas.

    Le safran est découvert ! Le terme safran veut dire « α ήταν πολύ νόστιμο » : « mais c’est délicieux » en grec ancien (enfin dans un dialecte aujourd’hui disparu ;).

    Les Grecs tombèrent sous le charme de cette épice qui savait ravir leurs papilles et leurs yeux. Un équipage fut donc missionné pour installer un comptoir commercial à Nice (Nikaia) et faire venir des collines rocheuses cette épice colorée. Voici donc comment, il y a fort fort longtemps, les premiers paysans sont venus s’installer à flanc de montagne puis ont créé le village de Carros. On dit qu’Ulysse est passé par là, qu’il a séjourné à Carros le temps de se remettre de certaines émotions aventurières. Comme il a été parti plus de 10 ans, il faut avouer qu’il a fait l’impasse dans ses mémoires sur ces quelques semaines plus paisibles. À Carros, en tout cas, il a trouvé le cadeau idéal pour Pénélope : un petit sachet de safran ! (vous remarquerez que cette épice se garde très longtemps, ce qui était une chance pour lui, car il a encore mis des années à rentrer chez lui !)

    Les Grecs ne voulant pas avouer qu’ils avaient trouvé cette épice en France (bon ce n’était pas encore tout à fait la France, mais ce n’était en tout cas pas la Grèce), leur mythologie prête au safran une origine divine : Krokos, ami d’Hermès, fut frappé au front d’une blessure mortelle pendant une joute de lancer du disque avec le dieu de l’Olympe. Son sang s’écoula dans la terre d’où il resurgit plus tard sous la forme des stigmates rouge sang de la fleur de safran.

    Bref, des cultivateurs patients et méticuleux ont investi la plaine et les collines carrossoises. Selon les saisons, le crocus était cultivé vers les Plans (d’où le nom issu des fameuses plantations de crocus) ou plus en hauteur en direction du petit éperon rocheux où ils avaient installé en plein vent les premiers séchoirs. Vous remarquez le nom de ce vent méditerranéen de nord-est soufflant dans les Alpes maritimes : « Grec » (également dénommé Grécal, Grégalade ou Grégou). Intéressant non ?

    Les femmes passent beaucoup de temps dans les séchoirs. Ce sont elles qui manipulent avec délicatesse les petites fleurs et les microscopiques pinces à linge pour suspendre les pistils à sécher. Certainement issu de la tradition grecque, le fil sur lequel étaient suspendus les pistils s’appelle le fil d’Ariane. D’une construction de séchoir en bois, on passe rapidement à la pierre, car ce lieu était devenu très important. Le safran ayant au fur et à mesure des siècles de plus en plus de valeur, une petite forteresse fut même érigée autour du séchoir principal en haut de l’éperon rocheux pour le protéger.

    Avec le temps les femmes découvrent d’autres vertus que celles uniquement gustatives à cette petite plante aux pistils orangés. Elles se rendent compte qu’elle influence leurs vies. La communauté safranière avait un lien fort entre les générations et le voisinage. Elle aimait raconter ce que les uns et les autres se transmettaient quotidiennement. Ils aimaient faire de grandes veillées autour des séchoirs à pistils en partageant des plats à base de bulbes de crocus (rien ne se perd) et se raconter les histoires, les recettes, les chansons, les savoirs dont ils avaient hérité les uns des autres. C’était signe de richesse que de transmettre de l’immatériel. Ils aimaient offrir et partager, tisser des liens. Ils parlaient de « fils safran », ils étaient tisserands de savoirs et de partages.

    Le safran a coloré leur vie, enfin leurs doigts, du coup aussi les étoffes de leurs vêtements et la chaux des murs de leurs maisons. À l’époque l’on ne « voyait pas la vie en rose », mais en orange safran. Tels les temples incas recouverts d’or, Carros était toute couleur safran, de la tête aux pieds, des trottoirs aux toits, ce doux orange foncé qui réchauffe les cœurs et donne envie de parler à son voisin autour d’une bonne salade de bulbe de crocus, ou des fameuses soupes partagées hivernales que les voisins cuisinaient ensemble aux pieds de leurs habitats.

    Voilà, l’histoire pourrait s’arrêter là, mais non forcément !

    Quelques siècles plus tard, comme une préfiguration à la mondialisation, les Italiens, Marocains et Iraniens se mirent à cultiver les Crocus Sativus et à exporter le safran à moindre coût. On imagine bien la suite, la communauté safranière carrossoise s’est lentement tournée vers le maraîchage et les fraises (d’où l’expression plus récente : « voir rouge »). L’Histoire a oublié l’origine de cette commune entre plaine et montagne, seuls les couchers de soleil et quelques recettes culinaires rappellent les grandes heures de la communauté safranière carrossoise. Ce qui est le plus remarquable, ce n’est pas le passé commerçant, mais ce que la couleur safran a induit dans la manière de vivre de la communauté carrossoise. Terre d’accueil et de partage, plusieurs cultures se sont brassées, partagées, puis lentement oubliées. Qui aujourd’hui se souvient de cette époque où le mot héritage n’avait rien à voir avec l’argent, mais bel et bien avec le savoir et le sensible ?

    Il reste, m’a-t-on dit, un très vieil ouvrage, dans la bibliothèque d’une très vieille demeure à Carros Village, qui raconte comment les habitants safraniers organisaient de grandes processions pour se raconter et partager. Ils disaient être les filaments orange (ancienne notion du fil rouge) de la transmission sensible, celle qui forge l’humain dans son humanité. Oui rien que ça:) Ils aimaient se retrouver sur les places, entre les habitations, dans la forêt (là où il y a le parc forestier).

    Je vous dirais que le presque plus incroyable dans toute cette histoire, c’est qu’un des séchoirs à safran se trouvait à l’endroit exact du Forum Jacques Prévert. C’était le séchoir à histoires ! On y avait installé en plus du fil d’Ariane à pistils, un fil à héritage en partage, un fil à transmission. Sur ce fil, chaque famille pouvait installer quelque chose à partager avec les autres. Comme tout le monde aimait ça, il y avait de plus en plus de choses sur le fil, ça pesait lourd. Il fut donc remplacé par une grande courroie, plus solide et pouvant faire le tour de la cour du séchoir. Je crois bien que c’est à Carros qu’a été inventée la courroie de transmission :).

    Mais que faire de toute cette histoire ? !

    Forcément, tels des archéologues, des chercheurs du sensible, des passeurs du temps, nous allons réinvestir les lieux de culture (safranière), de séchage et de rencontres de l’époque et faire émerger à nouveau la communauté safranière carrossoise de partage et de transmission. Que l’on soit d’ici, de là ou d’ailleurs, nous avons tous un fil à tirer de notre présence à Carros.

    Par les rencontres, les temps artistiques partagés, les souvenirs, histoires, visions de Carros, que nous glanerons il sera possible de refaire vivre les grandes veillées et surtout en point d’orge à l’automne 2024 une grande déambulation (à l’époque on disait procession) pour remettre en partage l’héritage carrossois.

    Pour être visible de chacun et faire émerger notre présence dans la ville, nous serons reconnaissables par nos tenues couleur safran et par notre zone artistique de rencontre mobile qui évoquera le village de l’époque par sa couleur safran orangé ! Nous la placerons à chaque endroit ayant une histoire en partage. Nous inviterons chacun à plonger dans ce projet de rencontre de l’autre.

     

    Aujourd’hui deux quartiers, hier une seule communauté, terre d’accueil et de finesse. Nous irons à la rencontre de l’autre par ce passé commun, même fictif et les inviterons à plonger dans une histoire commune à écrire.

     

    Périodes safranières à Carros :

     

    du 11 au 14 octobre 2023
    du 6 au 9 décembre 2023
    du 28 février au 2 mars 2024
    du 14 au 19 mai 2024
    du 26 au 29 août 2024
    du 16 au 19 Octobre 2024

     

    un contact direct avec notre équipe sur place : iletaitunefoislesafran@gmail.com